12ème jour du 10ème Décan. An 632 du troisième âge.
A compter de ce jour et jusqu'à nouvel ordre, chaque citoyen souhaitant entrer ou sortir de Bersinar devra montrer aux autorités compétentes un laisser-passer en règle, témoignant de sa loyauté envers la ville. Ces laisser-passer sont procurables au bureau principal de Bersinar, et sont valables pour la durée de votre séjour. En cas d'infraction ou de violation des frontières, la milice se verra obligée de sanctionner les criminels, qu'ils soient titulaires ou non d'un laisser-passer.
L'Ordre de Bersinar, sous la tutelle d'Edgar Ven Wantswick, remercie chacun de ses habitants pour leur bien aimable coopération.

L'apparition du décret sur tous les murs de Bersinar avait fait un véritable tollé chez les habitants. Des murmures de déception avaient rempli les ruelles, bien vite rejoints par des protestations bien plus vives. Une feuille de papier. Voilà tout ce qui suffisait à leur ôter leur droit de circuler librement, ce qui les obligeait à présent à faire état de chacun de leurs déplacements. Ces quelques mots, tracés à l'encre noire, n'étaient que le début d'une lente descente aux Enfers pour les citoyens de la ville minière, bien que peu d'entre eux n'en aient réellement conscience pour le moment.

Cela faisait maintenant quarante-cinq ans que l'Empire avait annexé la ville, lui offrant un rayonnement qu'elle n'aurait jamais espéré atteindre par ses propres moyens. Bersinar, autrefois petite ville rurale perdue entre la forêt et l'océan, aujourd'hui fierté de tout Evehnet pour ses pierres précieuses et ses minerais délicats. Est-ce que les habitants avaient eu leur mot à dire ? Pas face à la puissance que représentait l'Empire -ni même à l'aide qu'il avait apportée à de nombreuses autres cités avant elle. De nouveaux quartiers, des bâtiments réparés et améliorés, une ouverture sur le monde extérieur... Pourquoi se plaindre de tant de bienfaits ? Pourquoi se rebeller lorsque le seul sacrifice à faire en échange était d'offrir à l'Empire une place au gouvernement de la cité ? Du point de vue des citoyens, la différence politique était minime, mais les bienfaits qui en résultaient étaient bien réels.

Aujourd'hui, ces nombreux avantages prenaient des allures de cadeau empoisonné. Mettre fin à leur liberté ? Les Bersinois n'avaient pas signé pour ça, ni aujourd'hui ni hier. En quarante-cinq ans, jamais ils n'avaient fait face à pareille annonce, jamais ils ne s'étaient sentis presque trompés par les autorités et leurs pouvoirs. Des murmures. Rien que de simples murmures qui faisaient office de protestation, des rumeurs qui avançaient bon train, grossissant à pas comptés dans l'esprit des révoltés. Personne n'osait agir. Personne n'osait rien dire. Mais que se passera-t-il lorsque le premier homme osera se rebeller et arracher ces brochures fatidiques ?