"C'était plus gros qu'un rat."
" Ne dis pas n'importe quoi, Cici. Si j'te dis que c'était un rat, c'en était un."
"C'est toi qui dit n'importe quoi. C'était énorme. Et dégoûtant. Et poilu."
"Tu es juste une petite trouillarde, c'est tout." soupira-t-il.
"N...Mh... Mais c'est même pas vrai ! T'es même pas venue avec moi. C'est toi qui a peur de tout."
Thaïs faisait la moue, bien vexée.
"C'est pas du haut de tes huit ans que tu vas faire des grandes choses" rétorqua son ami, bien plus âgée qu'elle. Thaïs grimaça en l'imitant, et répondit d'un ton hautain.
"C'est pas parce que t'es plus grand que tu es plus intelligent que moi."
Il la regarda d'un air surpris, et la fillette se contentait de tirer la langue. Ils remontaient ensemble les petites rues des bas-fonds pour rejoindre le marché. Ils avaient passé la matinée ensemble. Thaïs avait beau le lyncher à tout -et lui aussi le faisait d'ailleurs-, elle l'appréciait quand même. En dehors de l'école, où elle s'ennuyait terriblement, elle ne passait que son temps avec lui. Il s'appelait Amys, il avait presque quatorze ans. Un adolescent qui avait grandi aussi dans le monde marchand, mais ses ambitions étaient bien plus grandes que de passer ses journées à négocier les prix. Même si elle ne semble pas très futée à l'âge adulte, Thaïs était déjà très mature et cultivée à huit ans. Elle était très curieuse, et dès qu'elle voulait savoir quelque chose, elle remuait ciel et terre pour trouver ce qu'elle cherchait.

Et Amys l'y aidait beaucoup, et ils partageaient ensemble leur découverte. Les deux amis se sont connus sur le marché, leurs parents respectifs se connaissaient vaguement. Amis traînaient toujours avec sa bande de copains que Thaïs trouvait infiniment stupide. Presque aussi bête que les camarades de classe avec qui elle s'efforçait de faire connaissance. Alors, un jour, elle s'est incrustée dans le groupe d'Amis, et c'est à coup de paris, de "prouver qui est le plus fort", qu'elle parvint à avoir -enfin- un minimum de respect. D'accord, elle n'avait pas l'air très maligne, mais ils se sont fait coiffés sur le poteau comme pas deux, une claque intersidérale, un cataclysme du bébé de la bande. Il fallait se l'avouer, Thaïs était très fière de ce jour là.

Quand la jeune fille avait douze ans, Amys déménageait, il voulait faire ses études supérieurs à Valtameri. Il parait qu'il y a une université très réputé, très carré aussi. Un truc pour lui, mais pas pour elle. Bien sûr, son départ l'affectait beaucoup, elle s'ennuyait à point fermé. Pendant quelques jours, elle ne sortait même plus de chez elle, sortant pour seule excuse "je ne veux pas jouer avec ceux de ma classe, parce que leur QI frôlait le négatif." A cet âge, elle n'avait pas trop idée de ce qu'était un QI, mais la réplique venait d'Amys, et elle l'aimait bien.


le voleur des bas-fonds
Thaïs n'avait strictement aucune idée de ce qu'elle voulait faire de sa vie. Tout ce qu'elle voulait, c'était ne pas trop se casser la tête, être tranquille et sans soucis. Alors par défaut, elle décide de reprendre la boutique de la famille. Elle aidait ses parents depuis qu'elle savait compter. Puis le gros avantage, c'est qu'en étant marchand, on était presque au courant de tout ce qu'il se passait en ville. Et Thaïs aimait bien tout savoir. On aurait pu croire qu'elle était incapable à faire ce genre de choses, mais elle s'en sortait bien, et en tout point. Sauf à chiper les fourbes qui la volaient. Ca, au pire des cas, c'était son père qui s'en chargeait. Il était pas gros, mais on voyait qu'il entretenait bien ses muscles. Et ces voleurs l'ont très vite compris aussi. Ca n'arrivait pas si souvent que ça non plus. Juste une fois, où un écervelé de sa génération se décidait de faire le malin. Manque de pot, Thaïs s'était levée du pied gauche ce matin là. Mais malgré sa mauvaise humeur et le peu d'heures qu'elle a dormi, elle était encore relativement furtive pour choper le crétin là.

Thaïs avait toujours pensé que ça aurait été classe d'oublier son nom, car elle pensait qu'elle avait du style en disant "Ah oui, le mec que j'ai chopé l'autre jour alors qu'il a tenté de voler un produit féminin inutile pour les hommes... comment il s'appelle déjà ?..." Sauf que de un, il n'avait pas tenté de voler un objet féminin qui l'aurait couvert de ridicule, et de deux, elle se souvenait très bien son prénom. Si bien qu'en ce jour, Thaïs pourrait dire qu'il lui sert éventuellement de meilleur ami. Il était un peu comme Amis, sauf moins futé, moins grand, et moins érudit. Pour le bien du voleur, qui se dénommait Ariel, Thaïs n'allait pas le traiter d'homme dépourvu de tout mécanisme cognitif, parce qu'au fond, elle l'appréciait quand même. Elle avait l'impression de retourner un peu en enfance, à se balader de nouveau dans les bas-fonds, à parier sur n'importe quoi, et à faire les 400 coups. A ses yeux, c'était des trucs de dingues ! Mais d'un point de vue purement extérieure, ça ne valait pas grand chose. Il fallait l'avouer, Thaïs avait perdu de son ambition. Elle avait adopté le côté cosy de la vie, à se contenter de ses propres problèmes. Elle était bien comme elle était. Mais, certainement, tout au fond d'elle, il y avait toujours un envie d'aventure, d'incroyables aventures.


rêves et souvenirs d'aventures
"Ecoute, le gros, je t'ai déjà qu'on négociait pas sur ce type de produits. Alors , soit tu paies, soit tu vas aller ramener ta cacahuète ailleurs, et aller embêter d'autres personnes."
"Comment osez-vous parler ainsi à un client ? Vous êtes d'une impolitesse !"
"Je parle comme je veux, et si tu continues, je vais t'en faire voir de l'impolitesse en te faisant avaler ta boîte à bijoux jusqu'à l'indigestion."
L'homme en question soupira et regardait d'un air dédaigneux Thaïs. Non, mais c'est vrai. Exigeant comme pas deux, pointilleux, hautain. Et il était marié en plus. D'accord, le client était roi. Mais n'étaient pas roi les crétins de son genre. Quelqu'un d'autre l'achètera, cette boîte à bijoux. La marchande regardait le gros snob partir contrarié en haussant les sourcils, et lui faisant une grimace. Gamin, comme comportement, mais Thaïs n'était pas le genre à perdre ses mauvaises habitudes. Et elle changeait totalement de comportement lorsqu'elle prêta son attention sur un autre client potentiel.
"Si tu continues à faire fuir les gens comme ça, plus personne ne viendra te voir."
Thaïs fronçait les sourcils et regardait en direction d'où la voix provenait. A sa plus grande surprise, il s'agissait de son ami d'enfance. Si elle s'attendait à ça ! Ses yeux se mirent à pétiller, et exprima sa joie par un grand cri. Elle se jetait dans les bras d'Amys, c'était beaucoup d'émotions d'un coup.

"Je fais fuir les clients insupportables c'est tout. Une technique de mon père, qui marche merveilleusement bien."
"Si c'est pour qu'ils viennent te voir avec un couteau en pleine nuit, oui, je pense que c'est le meilleur moyen" plaisanta-t-il.
Thaïs allait vite chercher son père, expliquant la situation, et qu'elle reprenait la boutique en fin de journée. Si déjà Amys avait fait le déplacement jusqu'à Bersinar. Ils discutèrent de ses études, de Valtameri, des dernières nouvelles. Elle parlait de sa rencontre avec Ariel, c'était déjà il y a quatre ans de ça.
"Tu voix, Ci, c'est ce genre de mecs qui vont t'attirer des ennuis de malade. Et ça sera bien plus grand que le rat, des égouts d'un de nos paris."
"C'était pas un rat, crédidiou. C'était plus gros. Bien plus gros."
"Parce que t'étais petite. Mais à ma taille, c'était bien un rat."
"Peut-être que c'était une de ces créatures bizarres, comme il y a dans les légendes. Des élémentaires, des licornes, des dragons, ou même des zombies."
"Tu t'es pas améliorée avec l'âge à ce que je vois."
"Je suis juste devenue meilleure en comptabilité."
"Et en injures"
"J'avoue"
Les deux amis allaient s'installer au bar de la ville, et prirent chacun une boisson fraîche. Comme d'habitude, la salle était blindée, ça riait ici, et ça pleurait là. Plein de touristes aussi, et les habitués avec leur tables usuels.
"Et tes rêves d'aventures, ils sont devenus quoi ? Tu prévois quelque chose ?"
Thaïs crut s'étouffer, en tentant de rire en même temps qu'elle buvait. Ce n'était pas très beau à voir : un moment de pure grâce et de féminité venant de la jeune femme.
"Pardon ?"
"Tu me parles de dragons et zombies, mais tu fais moins la maligne dès que ça parle d'aller au delà des murs de Bersinar" dit-il en se moquant ouvertement.
"On va dire que je suis très bien où je suis, et dès que je sors un peu de ce que je fais tous les jours, ça tourne en catastrophe. Avec Ariel, je te raconte même pas. A moi seule, je pourrait te refaire un cataclysme si je passe ces murs."
"Ton père t'envoie jamais chercher des marchandises ?"
"Comment dire .... Mon sens de l'orientation est quelque peu limité, et empêche la bienfaisance des trajets qu'on pourrait mieux confier."
"Ouai, en gros, tu t'orientes comme une naze."
"C'est une manière un peu moins civile de le dire, mais c'est ça."
"Ca m'étonne même pas, tu vois ..."
Thaïs lui racontait fièrement aussi qu'elle avait sa propre maison maintenant ! Bon certes, c'était juste à côté de celle de ses parents, mais avoir ses propres appartements étaient un luxe pour elle - elle pouvait se permettre de laisse un peu de bordel (non non, ce n'est pas ironique, elle a quand même un esprit de rangement). Amys repartait le soir même, il avait un rendez-vous à Valtameri tôt le lendemain matin. Mais aussi brèves leurs retrouvailles fussent-elles, cela faisait un grand bien à Thaïs de l'avoir revu.


le décret
Il y avait du monde partout, un agglutinement de personnes devant un morceau de papier. Thaïs soupirait que la population soit aussi désespérante. La jeune femme attendait que ça se décondense un peu, afin qu'elle puisse au moins se faufiler à coup de coude et de quelques injures pour qu'elle puisse lire l'annonce, la fameuse. Après l'avoir lu, elle comprenait tout à fait la stupéfaction des autres. Elle était même très étonnée et presque en colère. C'est la grosse question du moment : pourquoi un tel décret. Eux qui prônait avant tout le commerce et le libre-échange, ben voilà qu'ils faisaient l'effet inverse.

En plus, ça tombait assez mal, parce que pour une fois, son père la laisser sortir de Bersinar pour aller rencontrer un autre marchand qui voulait présenter de nouveaux produits à ses congénères. Son beau projet, qui aurait pu devenir un véritable exploit, tombait à l'eau. Thaïs marmonnait dans sa barbe avant de s'éloigner de l'annonce. Elle marchait machinalement dans les rues, et se dirigeait droit vers les bas-fonds. Thaïs passait même devant la rue, où il y avait cette chose, bien plus grosse qu'un rat - c'était véridique selon elle. Ses yeux scrutaient tous les recoins, même les plus sombres, pour trouver son ami. Il traînait forcément par là - qu'est-ce qu'il pouvait faire d'autre ?
Une fois qu'elle le vit, elle marchait d'un pas rapide vers son ami.
"Ariel, tu devineras jamais ce qu'il vient d'être annoncé."